Ferme de Bertrik - résidence d'artistes 2019
Dernière mise à jour : 11 juin 2019
La Ferme de Bertrik est un projet né en 2018 du partenariat entre la Société de Distribution du Sensible (SDS) et Roudoule, Écomusée en terre gavotte. L'écomusée, propriétaire du site de Bertrik, 2.5ha de terrain boisé, en terrasse, avait la volonté de diversifier les activités du lieu. Mes collègues Léo Thubin et Valentin Degueurce et moi-même cherchions par ailleurs un lieu de vie et de création. C'est ainsi que naquit la résidence d'artistes, sous l'impulsion de la SDS. Cette association implantée à Marseille, que Léo a participé a créer et dont Valentin et moi sommes membres, regroupe de très nombreux artistes (comédiens, réalisateurs, scénographes, arts plastiques, ...) et se donne pour but de repenser les lieux et les modes de confrontation du public à l'art contemporain.
Nous nous sommes donc installé à Bertrik au printemps 2018 pour une première saison de mise en place du projet. Le site devra à terme devenir un espace de déambulation artistique, où les œuvres résonnent avec les aspects propres du site. Les pièces sculpturales de Léo Thubin, les écrits poétiques de Valentin Degueurce, ainsi que mon propre travail de l'image, tous trouvent ici un contexte idéal à la création. Nos approches spécifiques se complètent et s'amplifient, de ce qu'elles naissent toutes d'une idéologie commune: une volonté de révélation des surgissements du sauvage.
Bertrik a pour vocation d’être un lieu d’expérimentation et de création artistique en lien avec ces phénomènes spontanés du vivant. Le lieu fournit les matériaux de la création, et ses événements naturels en sont le sujet. La posture de témoins permanents des surgissements du sauvage que nous occupons en vivant sur place permet l’élaboration de textes, pièces plastiques, images, et travaux aux croisements de nos approches. Ces œuvres créent une expérience nouvelle, une rencontre sensible du paysage, dans une démarche inspirée du land-art : un jardin. Bertrik devient un lieu de coexistence et d’interactions entre ses phénomènes propres et les interprétations matérielles du sauvage, en tant qu’objet d’observation, d’inspiration et de création que nous en proposons. C’est ce rapport entre le site et son peuplement créatif qui définit ici le jardin. Nos trois domaines de compétences se rejoignent tant dans les questionnements qui en motivent l’expression, que dans les œuvres qui en résultent. Elles se font échos par les thèmes qu’elles abordent, les imaginaires qu’elles suscitent. Nous créons des dispositifs de monstration où le rapport au site prend une importance prépondérante. Les œuvres mêlent différents médiums, offrent plusieurs points de vue simultanés dans une tentative collective de définition et de révélation du paysage. Bertrik est une scène sur laquelle se jouent les phénomènes qui suscitent les oeuvre. C’est un laboratoire idéal pour essayer, tester, et finalement matérialiser notre vision des émanations de ce paysage singulier.
Les textes poétiques de Valentin Degueurce, dans l’expression du paysage et des lieux de Bertrik, posent un espace adapté à l’apparition des mots émanant des sujets. Le temps long de la résidence est propice à l’accumulation foisonnante de ces mots qui crée une description du sujet épargnée des formes a priori de la définition confortable. Le sujet gagne sa liberté dans ses propres formes d’apparition qui sont alors autant de foyers pour la naissance d’une imagerie littéraire de Bertrik. Ce travail de révélation des potentialités d’un sujet s’accorde avec celui de Léo Thubin. Travaillant d’abord l’élément brut (branche, tronc, ossement, roche, …), relief du paysage, le travail plastique qu’il lui applique émane de ce qu’il perçoit des qualités propres à l’objet. Sa forme, ses aspérités, son positionnement au moment de la découverte, tout aspect qui posent ce qu’est cet objet. La manipulation à l’atelier vient exprimer la rêverie que suscite ces caractéristiques, tâchant de révéler ce qui dort en la matière et, par la même, cachant, escamotant parfois ce qui saute aux yeux. Il en résulte une forêt de troncs peints de couleurs inattendues, un ossement enchâssé dans une boîte aux dimensions parfaitement ajustées, une branche brute laissée baignant dans une eau teintée, dans un contenant conçu à ses mesures. L’oeuvre émane de cette rencontre entre l’objet et sa nature propre à être révélée, dans le regard de l’artiste, et les traitements qui lui sont appliqués. Elle côtoie et interagit avec les éléments qui participent à définir ce site : les roches, la flore, mais aussi la faune.
C’est l’occasion de l’expression de mon propre travail, qui oeuvre à révéler ce milieu et ses surgissement par l’image photographique et vidéo. La vie animale qui vaque comme d’ordinaire à ses occupations, mais au milieu des pièces sculpturales et textuelles, donne lieu à des images qui se doivent de surprendre. Cette recherche par l’image de la vie animale de Bertrik, en tous points du site, permet d’en révéler cet aspect qui se cache le plus souvent des regards. Un écran fixé à un tronc le long du sentier présente ce qui a été capté lors d’affûts, et par les pièges vidéo, dans la clairière toute proche. Le montage marque des temps de “vide”, de paysage seul, respectant le temps long de ce type d’observation: on attend l’animal, pas l’inverse. D’autres images proviennent de l’utilisation de lumières ou de points de vue auxquels nous ne sommes pas sensibles. Fluorescence, infrarouges, ultra-violets, macrophotographie, mise en image de phénomènes physiques ou chimiques, créés des paysages fantastiques et improbables, qui sont pourtant le quotidien d’autres espèces. L’artiste en appel à l’imaginaire, à ouvrir le champ des possibles qu’offre le monde sauvage. Tout en illustrant des phénomènes sous-jacents parfaitement compris par le monde des sciences, auxquels viennent s’ajouter la sensibilité propre de l’auteur.
Ce travail participe à une amplification – et non une illustration – commune des œuvres par son rapprochement avec l’écrit poétique. Ces images/textes viennent peupler le site, soutenu par les pièces de matériaux naturels transformés.
Une partie des pièces de Léo Thubin se déploient dans la partie basse de Bertrik, au sein de l’enceinte extérieure dédiée. Un ensemble de souches peintes, aux formes qui leurs ont valus leur présence ici. Des restes animaux, ossements ou phanères, présentées dans des boites ou sur des socles sombres et brillants, très épurés. Des écorces dont les aspérités brutes restent fortes malgré l’aspect « plastique » donné par l’application de tant de couches de peinture. On y trouve aussi, sous le kiosque, les textes de Valentins Degeurce, sous forme de recueils reliés laissés à la libre consultation du public. Images poétiques inspirées par la chute d’une branche, craquement entre deux silences du sous-bois. La crête des montagnes d’Aurafort qui nous surplombe, ou la sensation des lumières du site. D’autres textes résonnent avec les photographies disposées à leur côté. Photographies elles aussi présentées par elles-mêmes. Scorpion fluorescent surgissant d’un noir d’encre nocturne. Esquisse du chevreuil s’extirpant du bois. Images qui montrent la place des pièces sculptées au sein du site, lorsque la troupe de sanglier en maraude est capturée en image alors qu’elle traverse les troncs peints disposés quelques parts dans la colline. La vidéo explore ces mondes naturels visibles mais discrets, ou invisibles à l’œil quotidien, ainsi que l’expérience des sons qu’ils suscitent. Cette partie basse correspond à l’entrée sur le lieu et donc dans l’imaginaire qui s’y construit. Elle est densément peuplée d’œuvres. C’est à la fois le lieu des espaces fonctionnels, de travail, et un endroit de restitution de la création. Il invite à la découverte, à une déambulation relativement orientée de par la disposition des œuvres et la relative délimitation des espaces. Le visiteur va ensuite naturellement à la rencontre d’un grand portail de bois brut et peint qui marque le seuil des sentiers serpentant vers la partie haute du site. Cela marque le début d’une exploration plus libre, l’entrée dans une rêverie. Chacun y découvre les endroits propres au lieu. Ruine d’ancienne bergerie, pierrier, sous-bois, clairières, … On y rencontre presque fortuitement des œuvres plus éparses qui entrent en résonance avec le lieu de leur implantation. Ici des troncs dressés, aux sombres teintes bleues, formant bosquet. Qui remarquera le piège photographique disposé non loin ? Les images qu’il récolte au fil des nuits ont été travaillées par un montage simple et épuré, laissant sa place au temps du sauvage. Devant le petit écran installé à même un arbre, le visiteur devra prendre le temps. Le temps de s’arrêter et d’observer le « rien » de l’image, jusqu’à ce que survienne l’animal venu nuitamment visiter, intrigué, le sous-bois sculptural. Là, le surgissement d’un texte au creux du pierrier manifeste le foisonnement des images poétiques qu’a inspiré cet endroit précis. Il est accolé à une photographie dont l’image résonne avec le texte, dont le texte vient amplifier le sujet. Plus loin, c’est un socle sobre et noir qui sert de stèle à l’écrit suscité par un autre
paysage de Bertrik qui se dévoile au bord du sentier. Le spectateur explore, découvre, ressent et s’approprie le lieu et les créations qu’il génère dans le regard des artistes résidents.
Bertrik est un projet qui se construit sur le temps long. Cette 2è saison, en 2019, voit de nombreuses avancées et réaménagements, ainsi que l'organisation de deux journées (10 juillet et 14 août) centrées sur nos travaux. La construction d'un espace muséal, d'un studio photo/vidéo et d'un espace de travail/réflexion améliore grandement nos conditions de travail et nous ouvrent de nouvelles perspectives. Si d'aventure vous passiez dans l'arrière pays Niçois, n'hésitez pas à venir à notre rencontre, découvrir le site de Bertrik.
Y.